Le sommet tripartite de Luanda entre la RDC, le Rwanda et l’Angola, tenu le dimanche 15 décembre 2024, a échoué à produire les résultats escomptés. Félix Tshisekedi, président de la République démocratique du Congo, a pourtant fait le déplacement, malgré l’absence d’un texte finalisé pour signature. Cette décision soulève des interrogations, non seulement sur la stratégie congolaise, mais aussi sur les enjeux géopolitiques plus larges dans lesquels s’inscrit cette médiation angolaise.

1. Une médiation influencée par les grandes puissances

Au-delà de son rôle de facilitateur dans la crise entre la RDC et le Rwanda, l’Angola se trouve au cœur d’un jeu géopolitique complexe pour le contrôle des ressources naturelles de la RDC. Le pays est un acteur clé dans les stratégies concurrentes des États-Unis et de la Chine pour dominer l’accès aux minerais stratégiques tels que le cobalt, essentiel à la transition énergétique mondiale.

Sous l’impulsion américaine, l’Angola a renforcé son importance régionale grâce au corridor de Lobito, un projet d’infrastructure qui connecte les minerais de la RDC et de la Zambie au port angolais de Lobito sur l’Atlantique. Ce corridor est perçu comme une alternative au contrôle chinois, qui domine actuellement les routes commerciales à travers l’océan Indien via la Tanzanie et le Kenya. Washington voit dans l’Angola un allié stratégique pour contrer l’influence de Pékin en Afrique centrale et australe.

En acceptant de participer au sommet, Félix Tshisekedi s’inscrit dans ce cadre diplomatique où les médiations sont de plus en plus influencées par des enjeux globaux dépassant le simple cadre bilatéral RDC-Rwanda.

2. Une pression internationale omniprésente

La participation de Tshisekedi peut également s’expliquer par des pressions internationales exercées sur Kinshasa. Les États-Unis, en particulier, ont intensifié leurs efforts pour soutenir la stabilité régionale, souvent dans une optique de protection de leurs intérêts économiques. En encourageant la RDC à se rendre à Luanda, Washington cherche probablement à maintenir le dialogue avec le Rwanda, tout en consolidant l’Angola comme un acteur pivot de leur stratégie en Afrique.

Cependant, cette influence internationale met le président congolais dans une position inconfortable, où il doit concilier des exigences extérieures avec les attentes légitimes de son peuple, notamment en matière de souveraineté et de sécurité.

3. Une Angola aux intérêts multiples

Pour l’Angola, cette médiation ne se limite pas à un rôle de pacificateur. En s’impliquant activement dans la résolution du conflit entre la RDC et le Rwanda, le pays renforce sa position en tant que puissance régionale et partenaire stratégique pour les grandes puissances.

Le corridor de Lobito, récemment renforcé par des investissements américains et européens, fait partie d’un plan plus large visant à offrir des alternatives viables aux exportations minières congolaises. En contrôlant cette voie logistique, l’Angola s’impose comme un acteur clé dans le commerce régional et consolide sa coopération avec les États-Unis.

Ce double rôle – médiateur et bénéficiaire géopolitique – place l’Angola dans une position ambivalente. Si ce pays joue le rôle d’intermédiaire neutre, il est également perçu comme un acteur ayant un intérêt direct dans la crise, notamment pour s’assurer que les minerais congolais transitent par ses infrastructures.

4. Tshisekedi : une stratégie ou un piège ?

En se rendant à Luanda, Tshisekedi pourrait avoir voulu montrer son engagement envers la paix, tout en consolidant ses alliances régionales et internationales. Cependant, ce déplacement a rapidement tourné en un échec diplomatique après la demande du Rwanda d’inclure une clause imposant des négociations directes avec le M23.

Ce revirement a non seulement mis à nu les limites des préparatifs congolais, mais il a également révélé l’ampleur des enjeux externes pesant sur la RDC. Pour beaucoup, cette situation met en évidence l’incapacité de Kinshasa à imposer ses propres conditions dans un environnement de plus en plus dominé par des acteurs étrangers aux intérêts parfois divergents.

Une médiation entre diplomatie et intérêts géopolitiques

Le déplacement de Félix Tshisekedi à Luanda illustre les multiples couches de complexité entourant la crise RDC-Rwanda. Bien que présenté comme un effort de paix, ce sommet s’inscrit dans une lutte géopolitique plus large pour le contrôle des ressources naturelles congolaises.

Alors que l’Angola renforce son rôle stratégique via des projets comme le corridor de Lobito, la RDC se retrouve coincée entre des pressions internationales, des exigences rwandaises et les attentes d’une population lassée par les compromis sans résultats. Si Tshisekedi souhaite transformer ces défis en opportunités, il devra non seulement mieux préparer ses engagements diplomatiques, mais aussi réaffirmer la souveraineté de la RDC dans un contexte où celle-ci semble de plus en plus négociée sur la scène internationale.

Philippe KAZADI O.

Kiosque d'Afrique