Les propos de Christophe Lutundula au corps diplomatique accrédité en RDC traduisent toute l’indignation et même la colère des autorités congolaises après le bombardement du camp des déplacés de Mugunga par, dit-il, l’armée rwandaise et ses supplétifs terroristes du M23. « Il faut éviter la confusion et trop d’équilibrisme. En politique comme en diplomatie, la neutralité n’est pas toujours neutre… », a déclaré le Chef de la diplomatie congolaise.

En effet, ce mercredi 08 mai courant, le VPM aux Affaires étrangères, Christophe Lutundula a reçu, dans son cabinet, les diplomates étrangers en poste à Kinshasa. Sans dévoiler la teneur de la correspondance adressée au Conseil de sécurité, il a simplement annoncé que son pays, la RDC, a saisi le Conseil de Sécurité et attend de lui des sanctions contre les auteurs de cet acte ignoble. « Nous venons de saisir le président du Conseil de sécurité. Nous espérons que de ce côté là, nous allons nous comprendre. Je ne vais pas vous donner la teneur de la lettre, mais comme c’est un document du Conseil, il sera distribué certainement aux représentants des pays qui sont membres Permanents et non Permanents », a déclaré Christophe Lutundula Apala Pen’Apala.

La RDC, a-t-il ajouté, salue la condamnation, par les États-Unis d’Amérique, de cette attaque. Tout en appréciant l’élan de solidarité et de compassion, manifesté par ses partenaires à travers leurs déclarations respectives, le Chef de la diplomatie congolaise a indiqué que son pays exhorte les diplomates étrangers en poste à Kinshasa à éviter l’équilibrisme et toute attitude pouvant entraîner la confusion dans l’opinion publique.

Nonobstant, ajoute t-il, « Il faut éviter la confusion et trop d’équilibrisme. En politique comme en diplomatie, la neutralité n’est pas toujours neutre. Il faut faire comme un arbitre de football. Il est neutre mais sanctionne. C’est ça la neutralité, parce que j’ai vu et j’ai cru comprendre qu’on faisait allusion au fait qu’on alignerait des armes autour du camp. Nous ne sommes pas d’accord avec cette lecture. Le camp des personnes déplacées n’est pas en dehors de la RDC, c’est sur le territoire de la RDC et les personnes déplacées sont des Congolais. Deux conséquences: la première, la responsabilité de protéger le camp et les compatriotes qui sont là incombe d’abord à la RDC. De deux, même si il y a ces armes là, si à partir du camp des réfugiés, il n’y a pas une provocation vers le M23 et l’armée rwandaise, il n’y aucun raison qu’on puisse tirer. Et enfin, on sait bien qu’à tel endroit se trouve un camp de réfugiés, sur le plan du droit international, il y a des règles, on ne peut pas tirer sur un camp des déplacés de guerre. Nous n’avons pas apprécié certaines formulations qui prêtaient à équivoque, qui semblaient dire que nous-mêmes nous sommes les bourreaux de nos compatriotes. J’ai beaucoup apprécié la sincérité dans l’amitié, la sincérité par rapport à la vérité, les États-Unis d’Amérique qui ont dit clairement que ça venait de tel endroit par telle force, et on a même oublié de là où sont partis les roquettes, c’est de l’espace qui est sous contrôle de l’armée rwandaise et ses alliés le M23 ».

Au nom du Président et du Gouvernement, précise Christophe Lutundula, « je devais sans chercher de polémique dire que cette confusion n’est pas bon. Où on veut aller vers une solution, solution diplomatique, on y va. Les autorités congolaises ne peuvent pas être si irresponsables de vouloir que la guerre continue. Il vaut mieux ne pas faire de déclaration, que de faire une déclaration qui crée des équivoques, des malentendus entre nos pays. Chaque pays est souverain. Nous avons tous la mission de gérer bien la souveraineté de nos Etats. Cette souveraineté s’intègre dans une dynamique d’amitié ».

« C’est pénible que cela soit arrivé parce que les uns et les autres sont préoccupés par l’ensemble de la question de la crise sécurité au Kivu. Tout le monde voudrait avoir des avancées vers la paix. Construire la paix c’est ce qu’il y a de plus difficile mais de plus noble et de plus beau quand on a réussi », a relevé le Vice-Premier ministre qui informe aussi ses hôtes que le plan de démantèlement des FDLR, conformément à la dernière réunion organisée sous l’égide de l’Angola à Luanda, a été proposé au Président João Lourenço, médiateur désigné par l’Union africaine en mai 2022 dans le cadre du processus dit de Luanda.

Malheureusement, alors que tout le monde est dans l’attente de la prochaine rencontre dans le cadre de ce processus de Luanda, ce bombardement « est venu comme un coup d’arrêt. Sans refuser de poursuivre les discussions, on est quand même mal à l’aise comme personnes, êtres humains, de se retrouver dans ces conditions là face aux responsables rwandais, parce que nous savons d’où c’est venu. Humainement parlant c’était chaud, c’est encore chaud en terme de tristesse pour que nous puissions être vraiment dans un état d’esprit des discussions franches ».

Cette attaque ignoble n’arrêtera pas l’engagement de la République démocratique du Congo pour le retour de la paix et la sécurité dans l’Est de son territoire et dans la région des Grands Lacs. « Les discussions vont continuer mais pour le moment, il faut quand-même des clarifications », explique le chef de la diplomatie congolaise qui déplore également que « quand on veut avancer, il y a un coup qui tombe ».

Kigali prépare un génocide sournois des Hutus dans l’Est de la RDC

Le Vice-Premier ministre, Ministre des Affaires étrangères et Francophonie a ensuite abordé les récents propos du Président Paul Kagame sur un média étranger, où il prévient que l’armée rwandaise ne quittera pas la RDC tant qu’on n’a pas restitué aux Tutsi congolais leurs territoires et tant que leurs droits ne seront pas garantis. Aux diplomates qu’il a réunis dans son cabinet, le chef de la diplomatie congolaise alerte que ces déclarations sont extrêmement dangereuses. « Kigali dit que les Tutsis congolais sont persécutés et sont menacés de génocide, mais nous nous apercevons que les territoires qui sont attaqués de temps en temps sont des territoires dans lesquels la majorité des habitants sont des Hutus congolais. Quand on se rappelle que le génocide c’était en 94, que dans les mêmes camps là, l’armée rwandaise actuelle a attaqué, a bombardé Kibumba et autres, on a tué des gens là-bas, c’était des hutus, et parmi lesquels il y a des hutus congolais. C’est ça aussi qui a créé problèmes après que les génocidaires soient refoulés vers chez nous. Parce que nous avons encore cette expérience, le discours actuel du Président Kagame a quel effet dans l’opinion congolaise? Première chose, c’est de renforcer l’antagonisme entre les Hutus congolais et les Tutsis congolais. Deuxième conséquence, quand on voit tous ces éléments là, ça pour effet de susciter des tensions autour des terres au Nord-Kivu. Au Kivu, quand vous commencez à parler des problèmes de territoires, vous inoculez le virus de la division et vous amenez vers une conflagration des violences intercommunautaires. Parfois on ne fait pas attention à ça », a souligné Christophe Lutundula.

« Il ne faut pas que le Président Kagame et son armée fassent une sorte de génocide sournois de vengeance pour arriver à attiser les tensions intercommunautaires au Nord-Kivu. Quand ça va éclater, on dit voilà, ‘c’est le gouvernement congolais qui ne sait pas gérer les contradictions internes’. Ça c’est tout à fait cynique, c’est machiavélique, c’est très sournois« , a-t-il également dénoncé.

S’agissant de discours de la haine, qui serait tenu au Congo, le Vice-Premier ministre appelle à la prudence : « Il faut attention à ça. C’est le virus de la haine tribale, le génocide sournois qu’on est en train de faire à travers certains comportements, et il faut aussi dénoncer cela. La RDC invite la Communauté internationale à prendre les dispositions pour qu’on n’arrive pas à ce scénario de tensions intercommunautaires au Nord-Kivu. Et vous qui avez des moyens plus que nous, vous ne saurez pas maîtriser ça facilement et ça va faire du feu dans la région des Grands Lacs, qui est une région dont la composition sociologique est très complexe ».

Partenariat UE-RDC : Kinshasa propose à Bruxelles la mise en place d’un Comité d’experts pour travailler sur la traçabilité des produits

Le dernier point évoqué par le Vice-Premier ministre concerne le partenariat avec l’Union européenne. Revenant sur le visite de travail du Président Félix-Antoine Tshisekedi à Paris, répondant à l’invitation son homologue français, Christophe Lutundula Apala Pen’Apala a rappelé la proposition faite par le Chef de l’Etat à Bruxelles, assurant également en avoir discuté avec sa collègue, la ministre belge des Affaires étrangères. « Nous avons un malentendu avec l’UE concernant le MoU signé avec le Rwanda. Le premier problème c’est la traçabilité pour que nous soyons rassurés que les produits que le Rwanda va amener sur le plateau du MoU, produits critiques et stratégiques, ne seront pas des produits frauduleux. Et que de l’autre côté, c’est de dire à nos amis européens que nous avons signé pratiquement le même MoU avec vous, allons maintenant dans la mise en œuvre de ce MoU parce que nos produits à nous ne font l’objet d’aucune discussion, en terme d’origine », a-t-il expliqué à ses hôtes ambassadeurs.

« Notre partenariat est très important. Nous la RDC, on tient au partenariat avec l’Union européenne. On a de très bonnes relations. Nous avons proposé ceci: mettons en place rapidement un comité conjoint UE-RDC. Ce comité n’est pas un comité des politiques. C’est un comité des experts, des techniciens. Vite, si les Européens sont d’accord avec nous, ce comité va se réunir pour étudier toutes les questions liées à la traçabilité dans toutes les facettes et va proposer aux décideurs congolais et européens, des mécanismes à créer ou des mécanismes à prendre pour se rassurer mutuellement et pour faire en sorte que l’Union européenne ne soit pas induite et aller acheter des produits de sang, elle ne peut pas devenir receleur, et pour faire en sorte aussi que même le Rwanda, soit exempt de toute suspicion de prendre les produits congolais, et nous aussi ça va nous rassurer. C’est un mécanisme qui doit nous permettre de renforcer la confiance mutuelle », a souligné le chef de la diplomatie congolaise.

Sur cette question, parmi les intervenants, l’ambassadeur de Belgique en RDC a souhaité l’élargissement de comité à d’autres partenaires. « Je voulais vous remercier pour votre geste de proposer une piste de travail. Je pense qu’on n’a pas le monopole avec l’Union européenne de la connaissance de ce sujet, il y a d’autres partenaires qui travaillent sur ce sujet, je pense à nos partenaires américains. On pourrait aussi essayer de voir ce qui existe. Vous pouvez compter sur la bonne volonté de beaucoup d’entre nous aussi, en tant qu’États membres. Nous sommes très très intéressés à offrir quelque chose de constructif pour vous, parce qu’en effet aujourd’hui, tous ces minerais qui sont dans votre sol n’apportent pas la stabilité, la prospérité et le bien-être que ça devrait apporter aux populations, il faut qu’on trouve une réponse à ça et c’est vrai que la traçabilité est un mécanisme qui permet de le faire », a déclaré Mme Roxane de Bilderling.

Marlène OLENGA