Felix Tshisekedi retourne en RDC après une dizaine de jours passés en Belgique pour soigner son dos. L’occasion de le rencontrer et de le questionner sur sa campagne électorale. Il espère rempiler car estime ne pas avoir eu beaucoup de temps…
Kiosquedafrique.com reprend entièrement l’interview réalisée par Colette Braeckman.
Avant de s’envoler pour Kinshasa ce mercredi soir, le président Tshisekedi s’est arrêté durant quelques minutes à l’hôpital Sainte-Luc, pour permettre à son médecin d’effectuer un dernier contrôle. Auparavant, il a accepté de rencontrer Le Soir pour répondre à la question que tous se posent depuis une semaine…
Comment allez-vous ?
Comme vous pouvez le voir, ça va, je suis venu soigner une hernie discale et le professeur Raftopoulos m’a requinqué. C’est un magicien, il devait m’examiner, me garder quelque temps s’il le fallait et avant de partir je devais faire une dernière mise au point. Un disque entre les vertèbres avait été compressé ainsi qu’un nerf, provoquant une forte douleur dans le bras. Il ne s’agissait donc pas, comme on a pu le dire, d’un problème cardiaque, mais cette douleur, très invalidante, est survenue au moment où il y avait une forte activité diplomatique à Kinshasa. Les présidents de Turquie et de Gambie étaient là, on examinait le suivi de l’accord-cadre d’Addis Abeba et je ne pouvais pas quitter la capitale. Le report de la visite du roi Philippe, empêché de quitter son pays à cause de la guerre en Ukraine, m’a permis de venir me faire soigner en Belgique et j’espère voir le souverain prochainement. On s’est parlé au téléphone et j’ai très bien compris ses raisons : il devait rester au pays, et cela alors que sa famille était en vacances d’hiver. J’ai été heureux d’être soigné par le docteur Raftopoulos qui est né à Kisangani, et je l’ai invité à venir chez nous rencontrer des collègues congolais pour y développer sa discipline.
La guerre menée sur le sol européen est-elle suivie au Congo ?
Certainement, elle suscite beaucoup d’inquiétude, à propos de sa durée, de son ampleur… Economiquement, nous risquons nous aussi de subir des retombées du conflit. Comme ancien président de l’Union africaine et membre du bureau de la conférence des présidents, je soutiens totalement la démarche du président sénégalais Macky Sall qui s’est entretenu avec le président Poutine et qui a offert sa médiation. Personnellement, j’avais mis l’accent sur la sécurité des étudiants africains se trouvant en Ukraine et demandé que, lors de son entretien, Macky Sall évoque leur sort : ils sont totalement perdus et empêchés de gagner la Pologne.
Parti depuis début mars, comment allez-vous retrouver le Congo, quelles seront vos priorités ?
Résoudre les problèmes sécuritaires, c’est mon obsession et je suis déterminé à ramener la paix. C’est pour cela que j’ai voulu « mutualiser » les opérations et impliquer les pays voisins, ce qui nous a amenés à lancer des opérations avec l’armée ougandaise contre les ADF (Allied Democratic Forces, qui sévissent dans l’Ituri). Pour les nationaux, le processus de désarmement a commencé et nous allons avoir une grande réunion avec tous nos partenaires pour « booster » ce désarmement. Quant aux groupes armés étrangers, je vais essayer de régler cette question à la fois de manière bilatérale et sur le plan régional. Il y a, par exemple, les groupes armés des Red Tabara qui combattent le régime burundais, les FDLR qui veulent déstabiliser le Rwanda, tout cela depuis le sol congolais… Nous ne pouvons accepter cela. Je rencontrerai prochainement le président Kagame en Jordanie et, en avril, je me rendrai au Burundi pour rencontrer le président Ndayishimyie. Je veux faire de cette région de l’Est un havre de paix et de développement, elle a tous les atouts pour cela. Je ne veux pas que l’on donne la haine en héritage aux générations à venir.
Que répondez-vous à ceux qui demandent que les Nations unies, à la requête des autorités congolaises, mettent sur pied un Tribunal international qui examinera les crimes de guerre commis au Congo ?
Je ne pense pas que ce soit à l’ONU de le faire. Nous devons nous doter des moyens de le faire. L’ONU, certes, peut nous accompagner par son expertise, ses experts, ses documents, pour nous aider à retracer les criminels. Je crois profondément qu’il n’y a pas de paix sans justice. Il faut que justice soit rendue à toutes ces victimes congolaises mais aussi rwandaises burundaises, ougandaises… Je ne pense pas que cela puisse dénaturer nos relations avec les pays voisins. Ma vision c’est qu’il faut tirer un trait sur le passé, vivre ensemble. Nos populations vivent ensemble, se marient, s’unissent… C’est pour cela que dès mon élection ma première démarche a été de rencontrer mes voisins, cela ne sert à rien de vivre en se regardant comme chiens de faïence. Cependant, je crois que, pour pacifier les esprits, les réconcilier, il faut aider à faire la lumière sur ce qui s’est passé et cela, c’est à la justice congolaise de le faire, mais elle devra être aidée. Ce serait un grand moment d’avancée vers une paix durable dans la région
Comment allez-vous aborder les prochains mois qui seront consacrés à la campagne électorale ?
J’aborde cette période avec beaucoup de sérénité. Je crois que les Congolais ont encore envie de voir du Félix Tshisekedi parce que nous avons commencé cette mandature avec une coalition, celle du FCC (Front Commun pour le Congo) dirigée par mon prédécesseur et durant deux ans les choses se sont plutôt mal passées. Voici presque un an, nous avons dû créer une nouvelle majorité qui se met maintenant à dérouler son programme : il y a davantage de recettes dans les caisses de l’Etat, les réserves nationales vont atteindre les quatre milliards de dollars, la lutte contre les antivaleurs a un impact sur l’économie, la gratuité de l’enseignement a été décrétée et nous allons mettre en oeuvre la couverture santé universelle ainsi que lancer un programme de développement des 145 territoires que compte notre pays. Grâce à ce développement à partir de la base, nous voulons que ceux qui ont fui la pauvreté en se dirigeant vers les villes puissent rentrer et participer au développement de leurs terroirs. Nous faisons tout ce que nous pouvons pour que les élections se tiennent dans les délais mais pour cela nous aurons besoin de l’accompagnement de la communauté internationale. Je veux tenir les délais pour que les gens croient en moi et que j’aie l’occasion de rempiler. Car jusqu’à présent je n’ai pas eu beaucoup de temps…
Tirée du Journal LE SOIR/ Kiosquedafrique.com