La République Démocratique du Congo vit une séquence multidimensionnelle où se croisent négociations politiques, reconquêtes territoriales et mobilisation diplomatique. Face à la crise persistante dans l’Est, les autorités de Kinshasa tentent une approche inédite : articuler dialogue interne, pression militaire et alliances internationales. Une stratégie à haut risque, mais qui dessine des lueurs d’espoir.

1. Gouvernement de Cohésion Nationale : Kolongele en mission délicate

Le professeur Eberande Kolongele, émissaire du Président Félix Tshisekedi, s’attelle à une tâche herculéenne : consulter toutes les forces politiques et sociales en vue de bâtir un gouvernement d’ouverture ou d’union nationale capable d’apaiser les fractures post-électorales, juguler la crise sociale grandissante et de fédérer autour de la crise sécuritaire.

Ce faisant, ces consultations, menées depuis deux semaines, ciblent trois fronts :

– L’opposition politique divisée entre modérés (prêts à collaborer) et radicaux (exigeant des réformes institutionnelles préalables).

– La société civile qui réclame une meilleure intégration des priorités de l’Est (désarmement des groupes, protection des civils).
– Les chefs traditionnels et religieux, gardiens d’une légitimité locale souvent ignorée à Kinshasa.

En effet, « sans une représentativité réelle, ce gouvernement ne sera qu’un leurre« , met en garde un diplomate occidental sous couvert d’anonymat.

Nonobstant, les défis sont de taille : certains partis boycottent les discussions, jugées «cosmétiques», tandis que la majorité présidentielle craint une dilution de son pouvoir.

Dans ce contexte, l’enjeu est de taille pour Kolongele. S’il réussit, ce gouvernement pourrait légitimer et conduire certaines réformes , comme le changement ou la révision de la constitution, l’état de siège ou la réforme minière. S’il échoue, les tensions politiques risquent de paralyser Kinshasa au pire moment avec effet immédiat sur le front militaire.

2. Doha : Le dialogue sous haute tension

La rencontre du 9 avril à Doha entre le gouvernement congolais et les rebelles du M23 (appuyés par Kigali, selon l’ONU) cristallise les espoirs et alimente certaines suspicions.

Le Qatar, perçu comme médiateur neutre, a, selon plusieurs sources, obtenu des deux camps une feuille de route minimale. Les États-Unis et l’Union africaine poussent pour un cessez-le-feu.

Le côté obscur de cette affaire c’est la position du Rwanda qui, sans avoir été convié sur la table de négociation, sera bien présent. Il y a lieu de craindre un téléguidage. Aucun mécanisme n’est prévu pour traiter son implication, pourtant documentée par des rapports d’experts onusiens.

D’où la grande question : comment négocier avec le M23 sans évoquer Kigali ? C’est comme traiter un cancer avec des pansements, s’agace un observateur de la politique  congolaise.

De Doha, on peut espérer quelques scénarios possibles.
Suivant une option réaliste, un accord, a minima, sur un retrait tactique du M23, sous supervision internationale est possible.
Au pire de cas, l’échec des discussions déclencherait une reprise immédiate des combats, avec un risque d’embrasement régional.

3. Washington entre en jeu : L’accord qui inquiète Kigali

Dans un mouvement géopolitique notable, la RDC et les États-Unis finalisent un partenariat stratégique aux ramifications multiples.

Sur le plan sécuritaire, ce  partenariat pourrait viser la formation des FARDC, la livraison de drones et éventuellement le renseignement conjoint.
Sur le plan économique les investissements dans les mines « propres » (cobalt, cuivre) et les énergies vertes seront l’enjeu majeur.
Sur le plan diplomatique, la RDC pourrait obtenir plus des pressions internationales contre le Rwanda en ce moment où « les américains veulent contrer l’influence russe en Afrique centrale et isoler Paul Kagame », analyse un expert des relations internationales.

4. Walikale reconquise : Victoire en demi-teinte

La reprise de Walikale par les FARDC et les Wazalendo marque un succès symbolique, mais révèle des failles persistantes.

Les rebelles coupés de leurs lignes logistiques, l’État rétablit timidement son autorité. Des accusations d’exactions contre des civils par toutes les parties, et une coordination défaillante entre l’armée et les milices.

« Sans une vraie stratégie post-conquête, ces gains pourraient être éphémères », avertit un observateur militaire.

5. L’Église congolaise, fer de lance de la diplomatie morale

La CENCO et l’ECC mènent une offensive médiatique et diplomatique sans précédent.

Les deux églises ont lancé un plaidoyer au Vatican et à l’ONU pour des sanctions contre Kigali.
Elles ont documenté des crimes et rédiger des rapports accablants sur les violences, avec témoignages à l’appui.

« Leur voix compte : ce sont les seuls acteurs que la population congolaise croit encore », souligne un analyste.

L’heure des choix?

La RDC joue une partie complexe, où chaque pièce compte. Aucune option ne peut être écartée dans l’agenda de Kinshasa. Félix Tshisekedi doit gagner le combat contre les fractures internes en instaurant un gouvernement d’ouverture incluant toutes les forces politiques et sociales gage d’une véritable unité nationale.
La pression militaire doit être de mise pour éviter que le M23 ne consolide ses positions.
Et la diplomatie agressive pour isoler le Rwanda doit se poursuivre.

« Si Kinshasa rate cette fenêtre, le pays pourrait sombrer dans une violence encore plus profonde », prévient un ancien ministre.

Le prochain mois sera décisif.

Philippe KAZADI 

Kiosque d'Afrique