Ce que la presse avait annoncé vient effectivement de se produire. Noël Tshiani, véritable candidat pour rire, vient de dévoiler la raison pour laquelle il avait postulé : déposer une requête en annulation de la candidature de Moïse Katumbi Chapwe, décidément bête noire du pouvoir actuel.
Le plus hilarant, c’est l’argument qui sous-tend sa démarche : un article publié sur le site de Jeune Afrique le 22 mars 2018, qui affirmait que l’ancien gouverneur du Katanga aurait eu la nationalité italienne entre 2000 et 2017 et aurait donc été inscrit au registre d’état-civil de San Vito dei Normannila, petite ville du sud de l’Italie. Ces affirmations du magazine panafricain avaient, pourtant, été démenties par le maire de la ville italienne en personne.
Répondant à un courrier de Me Éric Dupont-Moretti, avocat de Moïse Katumbi, et actuel ministre français de la Justice et garde des Sceaux, Domenico Conte, maire de San Vito dei Normanni, avait écrit dans une lettre officielle : «Nous ne pouvons fournir aucune information quant à la nationalité de M. Moïse Katumbi Chapwe, en ce que celui-ci n’est pas inscrit et ne l’a jamais été au registre de l’état-civil et/ou au registre de la population des citoyens italiens de la ville de San Vito dei Normanni». Et de poursuivre, dénonçant clairement Jeune Afrique : «L’administration municipale n’a jamais mis à la disposition de tiers de documents concernant la nationalité desdites personnes [Moïse Katumbi Chapwe et/ou Moïse Katumbi D’Agnano], ni n’a jamais fourni d’informations ou de données officielles à leur égard». Avant de conclure : «[Ces] informations diffusées par voie de presse à propos de M. Moïse Katumbi D’Agnano et de la ville [de San Vito dei Normanni] doivent donc être considérées comme fondées sur des reconstructions médiatiques, dénuées de tout caractère officiel, pour lesquelles la ville ne peut que prendre ses distances».
La cristallisation identitaire du débat politique : un danger suprême pour des pays multiethniques.
Ce démenti le plus officiel du monde avait clos définitivement ce débat. Sauf pour des fanatiques tribaux, pour qui la politique doit se faire en fonction des pulsions ethniques afin d’éliminer toute menace supposée contre le frère du village qui détient le pouvoir. La requête de Tshiani s’inscrit ainsi dans une suite logique d’un combat tribalo-ethnique susceptible de menacer non seulement la paix sociale, mais aussi l’unité nationale. En effet, le danger suprême pour des pays multiethniques a toujours été la cristallisation identitaire du débat politique. De la Yougoslavie en Europe au Soudan en Afrique, en passant par la Tchécoslovaquie et l’Ethiopie pour ne citer que ceux-là, le cimetière des nations est rempli de pays qui ont disparu à cause de la rupture des liens du vivre-ensemble de leurs peuples respectifs. Visionnaire, Patrice Lumumba ne s’y était pas trompé lorsque, dans son discours du jour de l’indépendance, il avait appelé les RD-Congolais à cesser «les querelles ethniques qui nous affaiblissent et risquent de nous faire discréditer à l’extérieur». Après avoir été porteur d’un grand espoir, le pouvoir du président Félix Tshisekedi est sur la pente d’une dangereuse dérive identitaire. Et c’est le vivre-ensemble, ce ferment du ciment qui soude les nations, qui s’en trouve menacé.
Tout au long du mandat du président de la République actuel, les forces centrifuges n’ont eu de cesse de tirer le pouvoir vers un enfermement identitaire. On se souvient de cette vidéo qui avait fait rage sur les réseaux sociaux, d’un certain Wakantsha, alors représentant de l’UDPS au Canada, présentant les Baluba, ethnie du chef de l’Etat, comme les seules personnes civilisées du Congo et disposant d’une belle prestance physique, et vociférant des injures crues contre les autres peuples du Congo, qualifiés de primitifs, chétifs et vilains. Ou encore de cette autre vidéo de Charly Luboya, bourgmestre de la commune de Kalamu à Kinshasa et cadre de l’UDPS qui, au cours d’une réunion du parti présidentiel, a déclaré : «les Baluba n’ont pas le pouvoir, les Baluba sont pouvoir. Qu’ils veulent ou non, nous allons les diriger par défi». Ou, enfin, les multiples vidéos du nommé «Dinosaure», qui se présente lui-même comme «conseiller privé du chef de l’Etat» installé aux Etats-Unis, qui appelle tous ceux qu’il estime ne pas se conformer à la vision de Félix Tshisekedi afin de les injurier en Tshiluba jusque dans l’intimité de leurs mères respectives. Toutes ces images et ces actes ont toujours choqué l’opinion. Mais ils ont toujours laissé de marbre les tenants du pouvoir qui ne les condamnent jamais, ni ne dénoncent leurs auteurs, les assumant par leur silence.
Tout au long du mandat de Félix Tshisekedi, c’est encore un homme originaire du Kasaï, Noël Tshiani, qui a passé tout son temps à développer un discours identitaire sur la pureté raciale – comme dans l’Allemagne nazie – des potentiels candidats à la présidence de la République, avec sa proposition de loi dite «de père et de mère», une proposition contraire aux traditions congolaises et à l’histoire de la RDC depuis l’indépendance. L’objectif, malgré les dénégations de ses auteurs, était d’éliminer Moïse Katumbi Chapwe, considéré comme l’adversaire le plus sérieux pour le chef de l’Etat. Suite aux pressions internes et externes, cette proposition, portée par le député Nsingi Pululu, n’a finalement jamais été alignée aux débats de l’Assemblée nationale.
Cela n’a pas empêché le gouvernement de se couvrir de tous les oripeaux caractéristiques de l’extrême-droite pire que celle qu’on voit à l’œuvre dans certains pays d’Europe. On a ainsi vu le ministre des Hydrocarbures Didier Budimbu, traiter les compatriotes métis de «chauve-souris» dans un meeting à Lubumbashi, et le ministre du Commerce, Jean Lucien Bussa, qualifier les mêmes congolais métis d’«ennemis du pays». Dans des pays démocratiques dignes de ce nom, les deux ministres auraient été virés dans la minute suivant leurs déclarations respectives. Mais en République démocratique du Congo, il n’y a rien eu. Comme pour confirmer la nature raciste du gouvernement congolais lui-même.
Alors qu’approchent les élections de décembre, on relève le regain des boutiquages à l’allure ethno-tribale, dans le seul but d’éliminer le même Katumbi. Déjà, la semaine dernière, des ressortissants du Kasaï installés au Katanga, inquiets de tensions qui montent dans la région, se sont rendus chez Moïse Katumbi afin de lui exprimer leur vœu de voir toutes les communautés installées dans cette partie du pays vivre dans la coexistence pacifique, sans se laisser entraîner dans une dérive politico-identitaire. Le geste était à saluer, au regard du lourd héritage du passé : en 1960 et en 1993, les tiraillements politiques ont plongé les communautés kasaïenne immigrée et katangaise autochtone dans des conflits qui ont abouti à des sanglantes épurations ethniques, vidant l’ex-Katanga de la majeure partie de sa population venue du Kasaï.
Mais à peine les analystes n’avaient pas fini de saluer le geste, que l’on voit un groupe de ressortissants du Kasaï conduits notamment par Maweja Djunes, président de la Synergie des ressortissants du Kasaï au Katanga, et Enoch Mukenge, président de l’Association des maraichers originaires du Grand Kasaï vivant dans le Grand Katanga, se donner en spectacle devant le bâtiment du 30 juin de Lubumbashi, siège de l’Assemblée provinciale du Haut Katanga. Objectif : dénoncer la délégation des Kasaïens qui s’étaient rendus chez Moïse Katumbi, leur renier leurs origines kasaïennes, et appeler les esprits de leurs ancêtres à les maudire. Et pour cause : aucun kasaïen ne peut jamais s’entendre avec aucun autre candidat à la présidentielle, tous les Kasaïens doivent obligatoirement se ranger derrière Félix Tshisekedi. On se croirait dans un régime d’apartheid volontaire …
«Comment pouvons-nous cultiver le savoir-vivre en société et le vivre-ensemble avec de tels comportements? Supposons qu’un tel spectacle avait lieu à Mbuji-Mayi, que les ressortissants du Katanga vivant au Kasaï oriental fassent ce genre de sortie politique, quelle serait la réaction de nos frères du Kasaï sur place ?», interroge un journaliste basé à Lubumbashi. Avant de conclure : «gouverner ne veut pas dire former un bloc sur base ethnique pour écraser les autres. Cela ne permet pas de renforcer l’unité nationale. Bien au contraire : c’est une façon de mettre de l’huile sur le feu pour brûler le pays».
Avant Tshiani, Tshivuadi Mansanga, un autre ressortissant du Kasaï, a lui aussi saisi la haute Cour contre le même Katumbi.
Il reste que ces deux requêtes demeurent un coup d’épée dans l’eau, voire des initiatives simplement risibles. Mais il reste à savoir comment la Cour constitutionnelle, dirigée elle aussi par un fils du Kasaï oriental, va trancher ces stratagèmes politiciens mal ficelés. D’elle dépend la paix sociale à la veille des élections.
José Libya Nzalingo
Licencié en Droit public interne de l’Unikin