Quel jeu joue MBOSO avec la loi électorale ? Quel avenir pour l’état de siège ? La crédibilité de la Cour constitutionnelle et la probable candidature de Joseph KABILA en 2023 font débat. Qu’en pense Jacques Djoli ? Dans une interview accordée à www.kiosquedafrique.com, le Professeur constitutionnaliste y revient largement. Depuis la rentrée parlementaire pour la session de mars 2022, l’opinion tant nationale qu’internationale était dans l’attente de l’aboutissement du débat sur la proposition de loi électorale devant encadrer les prochains scrutins prévus en 2023. Dénommée loi LOKONDO en hommage à une des figures emblématiques du Groupe de treize parlementaires, G13, la proposition avait été déclarée recevable à l’issu d’un débat houleux à la Chambre basse. Mauvais tournant : les initiateurs de la proposition avaient quitté la plénière accusant le Président MBOSO de leur refuser la parole et crient à la violation de la procédure. Certains médias ont même pointé le bureau de l’Assemblée nationale de vider la loi de G13 de toute sa substance.

KDA : Bonjour Professeur Jacques Djoli

Pr. Jacques Djoli : Bonjour

KDA : Pourquoi le Bureau MBOSO veut-il vider la proposition de loi faite par le G13 de toute sa substance ?

Pr. Jacques Djoli : Je ne sais pas si le bureau de l’Assemblée nationale veut vider la proposition. Ce qui est sûr est qu’après avoir organisé de manière impeccable et même particulière le débat sur trois jours au cours desquels tous les députés ont eu à intervenir, et nous avons eu du temps pour répondre aux députés. La loi a été déclarée recevable. Il était entendu que, pour une approche beaucoup plus cohérente, des options issues des différentes discussions devraient être levées par la plénière avant que nous puissions aller au niveau de la Commission PAJ.

Et cette approche un peu informelle, particulière ou consensuelle  devrait, pour nous, se passer aussi dans la transparence. C’est-à-dire que les différents groupes devraient se réunir autour de nos 18 thématiques. Il était même prévu que nos amis de l’Opposition qui étaient sortis de la plénière soient invités pour présenter leurs propositions. Et à l’issu de ce travail de mise en commun au cours duquel nous G13 aurions pu être invités comme députés pour participer, nous n’avions pas été conviés à ce travail-là. Ce travail était fait en dehors de la plénière.

Et lorsqu’ils sont venus en plénière, le groupe Union Sacrée notamment avait déjà dégagé des options. Et le Président avait institué une méthode selon laquelle chaque groupe devait présenter les options retenues en interne, après il y aurait vote. Au niveau du G13 nous avons dit que cette procédure n’était pas équilibrée parce que n’ayant pas pris part aux discussions informelles, nous devrions, en plénière, pouvoir discuter pour éclairer les amis avant qu’ils puissent voter sur l’option. C’est alors que nous avons fait une motion par l’honorable SESSANGA ; malheureusement cette motion a été rejetée par la majorité. Donc, on nous privait la parole au niveau de la plénière ; c’est donc les options dégagées par les amis qui allaient passer. Et on verra que dans les options retenues dans notre proposition (sur les 18), seulement trois ou quatre ont été retenues, mais réécrites à tel enseigne que la quintessence de notre démarche a été édulcorée.

A partir de ce moment-là, nous ne pouvions plus rester dans la salle parce que nous n’avions pas droit à la parole. Après nous avons appris qu’on nous a accusés de s’être dessaisis, ce qui est faux. Les auteurs d’une Loi ne se dessaisissent pas jusqu’à ce qu’on rentre dans la Commission, on est toujours auteurs de la Loi dénommée « Proposition de loi LOKONDO ». C’est cette phase-là, ce refus de nous donner la parole, qui finalement, s’est terminé par une Loi qui présente de nombreux déséquilibres sur les propositions que nous avons faites. Voilà qui fait que nous sommes un peu en retrait par rapport à tout ce qui se fait maintenant au niveau de l’Assemblée et au niveau de la plénière.

KDA : Pouvez-vous nous indiquer quelques innovations phares de cette proposition qui font peur aux uns et aux autres ?

Jacques Djoli : Nos réformes tournaient autour de 18 propositions mais qui pouvaient être résumées en cinq ou six.

La première proposition c’est d’abord « la constitutionnalité » de notre démarche. Nous avons tenus dans toutes nos propositions qu’on ne touche pas à la Constitution. D’abord, parce que la Constitution contient un certain nombre de verrous substantiels qui exigent une plus large recherche de consensus. Mais on n’a plus beaucoup de temps. Je prends pour exemple, la demande forte de l’opinion pour que les gouverneurs et les sénateurs soient élus au suffrage universel, et la demande sur le retour de deux tours (Ndr à l’élection présidentielle). Ce sont des questions que nous avons évitées d’aborder parce qu’elles exigent que la Constitution soit touchée. Nous avons voulu que notre système politique soit vraiment représentatif, légitime et que les résultats des élections soient le reflet de la volonté des électeurs.

C’est pourquoi nous avons proposé la substitution du seuil de répartition, dont les calculs n’étaient pas clairs, par un « seuil de recevabilité ». C’est-à-dire que puisse que nous voulons avoir de grands ensembles, il est important que les regroupements et les partis politiques présentent au moins 300 candidats, soit 60% des sièges sur le plan national. Ce qui va pousser les partis politiques à se regrouper. Cette réforme a été acceptée par les amis.

Un troisième élément que nous avons proposé c’est le passage du régime proportionnel qui amène à l’émiettement de notre système politique au système majoritaire. Par exemple : il n’y a que 4 ou 10 partis qui ont plus d’un député à l’Assemblée nationale. Et parmi ces partis, aucun n’est représenté dans les 26 provinces. Le PPRD avec tous les moyens qu’il avait n’est représenté que dans 23 provinces. Le deuxième parti qui vient en ordre de représentation provinciale c’est le MLC sur 10 provinces. L’UDPS n’a des élus que sur 9 provinces ; la même chose pour l’AFDC. Voilà pourquoi nous avons proposé que nous quittions le système proportionnel qui assure une fragmentation vers le système majoritaire. Ce système a l’avantage de faire en sorte que lorsque nous allons aux élections, ce sont les meilleurs qui gagnent. On ne va pas laisser quelqu’un qui a 40.000 voix pour aller chercher celui qui a 400 voix au nom, soi-disant, d’une justice représentative des partis politiques. La population ne comprend pas et elle nous accuse d’être des « députés nommés ». Après trois cycles avec la proportionnelle, nous avons compris ses limites. Elle nous renvoie à des coalitions hétéroclites qui ne permettent pas d’avoir très rapidement un Premier ministre et un gouvernement. C’est comme ça qu’Il faut mettre six à neuf mois pour que nous puissions avoir un gouvernement. Sur 90 partis et regroupements politiques représentés à l’Assemblée, 45 partis n’ont qu’un seul député. Ils ont refusé.

Nous avons proposé qu’un candidat ne soit pas à la fois candidat député national et candidat député provincial. Parce que lorsque vous gagnez aux deux scrutins, vous allez finalement, généralement, sacrifier l’élection provinciale en laissant votre Suppléant. Et la qualité de notre démocratie au niveau provincial est en baisse parce que la plupart des Assemblées sont remplies des Suppléants. Ça n’a pas été accepté par les amis. Une autre réforme que nous avons proposée c’est qu’il soit strictement interdit les Suppléants ascendants ou descendants jusqu’au deuxième degré. Ça été rejeté. Nous avons demandé que la représentation féminine – qui est aujourd’hui un point central de notre Constitution qui a institué la parité – soit respectée et que toute liste comprenne au moins 30% des femmes, des jeunes et des personnes handicapées. C’est ça aussi la structuration de la société. Ça été rejeté. Nous avons demandé que, pour assurer la transparence et la traçabilité, la cartographie des bureaux de vote soit mise à la disposition des candidats ou de leurs partis politiques, et que les résultats  soient publiés bureau de vote par bureau de vote. Ils disent que ça va créer des tensions. Et ils l’ont rejeté, et nous ont écrit autres choses que nous ne savons pas.

Il y avait aussi la question des élections des Gouverneurs et des Sénateurs : nous étions préoccupés par la recherche d’une solution pratique. La population veut que les Sénateurs et Gouverneurs soient élus au suffrage universel pour éviter la corruption ; parce qu’il faut « décorruptiliser » notre système politique. Ça serait même un signal fort. Quelqu’un qui n’a aucun député provincial, comment il va se présenter et gagner s’il n’utilise pas l’argent, la corruption ! Ainsi, nous avons proposé que les candidats Sénateurs et Gouverneurs soient présentés par les partis politiques qui ont au moins 10% de députés de l’Assemblée provinciale parce qu’ils ont une vision. Mais lorsque vous voyez un parti politique qui a 10 ou 12 députés provinciaux et qui n’arrive pas à faire élire un Sénateur ou un Gouverneur, ce qu’il y a un problème.

Nous avons également proposé que soit interdit tout don au moment de la campagne électorale.

Voilà en résumé quelques reformes que nous avons initiées et qui risque de ne pas être retenues et nous allons donc connaitre le statu quo hanté. Ce que nous regrettons, c’est que la Société civile, les églises, les Mouvements citoyens qui devaient accompagner cette proposition de loi, nous ne les sentons pas beaucoup. Cette proposition de loi est un produit de l’écoute que nous avons faite auprès de tous les groupes sociaux après les élections de 2018. Si on prend comme indicateur, le nombre des conflits, en 2006 nous avions plus ou moins 300 litiges en contentieux, en 2011 on en a eu au moins 500, mais en 2018 nous avons eu 1200 ; tout ça c’est à cause de l’opacité. C’est comme ça d’ailleurs qu’en matière de contentieux, nous avons proposé que les juridictions ne demandent pas aux candidats des preuves. Mais puisse que la loi électorale dit que les juridictions y compris la juridiction suprême qui est la Cour constitutionnelle reçoivent les plis des PV qui viennent de la CENI, il est anormal que la Cour demande à un candidat d’amener les preuves.

Voilà, si nous n’avons pas une loi qui donne confiance à la population, elle n’aura jamais confiance aux responsables politiques. Et quand il n’y a pas confiance, il n’y a pas légitimité sans laquelle il n’y aura pas efficacité dans l’action politique.

KDA : Au regard du travail de consultation des groupes sociopolitiques abattu par le G13, si vos innovations ne passent pas, nous pouvons dire que votre déception sera grande ?

Jacques Djoli : Bon, ce n’est pas une déception en soit, mais une constatation que les acteurs du changement social  n’ont pas compris ce qu’est l’avenir ou le devenir commun exige comme principe structurant de la vie. Vous savez, moi-même j’ai été victime de mon Suppléant. En 2011, j’étais parti à la CENI et j’étais remplacé par mon Suppléant. Mais lorsque je voulais rentrer, il y a eu des résistances. Cela ne me pousse pas à remettre en cause les sensualités de ce qu’on appelle l’Etat qui n’a rien à avoir avec la parenté ou la consanguinité. L’Etat est un lieu de vivre ensemble autour des idées.

KDA : Le Bureau MBOSO exerce-t-il une dictature à la chambre basse ou qu’il est une caisse de résonnance comme l’allèguent le FCC et LAMUKA ?

Jacques Djoli : Je ne crois pas qu’il faille réduire un problème aussi profond de notre gouvernance globale au nom d’un individu ou d’un groupe d’individus. Je mets ça au nom des résistances collectives au changement social. Vous savez, je suis sorti très marqué par l’attitude du Président MBOSO. Prenons par exemple l’article 14 sur la parité, il a voulu à tout prix que nous comprenions que la femme, notre fille, notre sœur, doit être prise en compte, mais il n’a pas été suivi tout au long du débat. Donc, ce sont des dérives systémiques d’une gouvernance anthropologique qui n’a pas encore intériorisé les valeurs du développement de transformation sociale. Il y a encore du travail à faire.

KDA : Le Docteur MUKWEGE a qualifié l’état de siège d’un échec. Etes-vous de cet avis ?

Jacques Djoli : Je crois que pour juger « l’état de siège », il faut se replacer au 03 mai 2021. Qu’est-ce qui se passe sur le terrain ? L’ADF a pratiquement encerclé la ville de Béni en prenant de l’ampleur sur le territoire d’Irumu en liaison avec CODECO. Ce jour-là à Béni, on est en train de chasser la MONUSCO et les enfants sont dans la rue, la Mairie est occupée. A Goma, c’est pratiquement un affrontement au sein des Assemblées provinciales entre les motions et autres histoires. Donc, « l’état de siège » avait deux objectifs, ce qu’on appelle état final recherché : premier élément, restaurer l’autorité de l’Etat ; deuxième élément, éradiquer les groupes armés et mettre fin à la violence politique. En tant que membre de la Commission Défense de l’Assemblée nationale, nous avons fait des évaluations avec le Ministre de la Défense, avec le Premier ministre et la plupart des ministres qui sont impliqués. Donc modestement, je peux dire ce qu’est « l’état de siège ». Sur le plan de la restauration de l’autorité de l’Etat, on peut dire, une année après avec au moins 22 reconductions, qu’il y a une certaine évolution. C’est qu’à Bunia, il y a une administration, quoi que militaire, qui fonctionne. A Béni, l’Etat ré-existe…à minima. Si vous prenez la gouvernabilité territoriale, Goma (c’est vrai qu’il y a des actes de criminalité, il y a eu même un attentat), les territoires de Walikale, de Masisi, c’est presqu’ouvert. A Rutshuru avec le retour du M23, il y a une partie qui ne marche pas. A Lubero, c’est plus ou moins acceptable. A Béni, on a repoussé ces groupes au-delà de Mbau, et ils ont perdu la plupart de leurs bastions fuyant vers l’Ituri. Mais la pression existe encore de manière intensive autour de Béni. Du côté de l’Ituri, Mahagi, Ahuru, c’est plus ou moins gérable. La difficulté c’est à Djugu, Irumu et Mambasa, là où l’ADF est en train d’évoluer. Donc, il y a du travail à faire du côté de l’intensification du contrôle de l’Etat sur l’ensemble du territoire et du côté surtout de l’éradication des groupes armés qui, manifestement en terme de bilan relatif au nombre des morts et des déplacés, ça n’a pas beaucoup baissé. Alors, nous sommes tous d’accord avec le Prix Nobel de la Paix, le Professeur MUKWEGE envers qui j’ai beaucoup d’estime et de respect, et que je connais très bien. Mais au regard de la situation sur terrain, il faut une réponse adaptée. C’est laquelle ? D’abord, au plan administratif, il faut restaurer l’autorité de l’Etat sur l’ensemble du territoire. Deuxièmement, il y a sur les 130 groupes, il y en a au moins 115 si pas 120 qui attendent le processus de démobilisation et réinsertion. Les gens sont sortis d’eux-mêmes pour aller dans les camps pour attendre le processus. Depuis plus de six mois, le processus n’est pas encore lancé. Ce qui fait que ces groupes armés sont encore là. Maintenant, là où il faut taper, eh bien il faut taper. Et c’est là où il y a le problème de la puissance de feu, de la crédibilité de notre outil de défense pour déployer une vraie opération militaire et frapper les ADF et les CODECO. Ce n’est pas normal que dans un pays, nous ayons des groupes de gens qui se promènent avec armes, tuant librement. C’est inadmissible. Nous avons fait une opération de mutualisation avec l’Ouganda, les résultats sont aussi relativement discutables. Donc, pour moi et je sais ce que je dis, il faut requalifier « l’état de siège » pour que les gouverneurs ne soient pas des militaires à mi-temps. Il faut des nouveaux équipements adaptés à une guerre asymétrique. Il faut motiver et orienter nos braves militaires. Que ceux qui souhaitent qu’on lève « l’état de siège » puissent proposer un autre schéma alternatif, parce que partir comme ça, serait un aveu d’échec. Il n’y a pas défaite, mais il y a nécessité de réorientation et requalification de l’opération militaire.

KDA : Peut-on dire que la rigueur de l’IGF avec Jules ALINGETE en tête ait un effet sur la mobilisation financière constatée aujourd’hui ?

Jacques Djoli : Je crois que monsieur Jules ALINGETE et ses hommes, mais aussi il faut louer l’action des autres services de l’Etat comme le ministère des finances, les Régies financières elles-mêmes ; on peut se féliciter de ces performances, de ces réserves bancaires nationales qui ont crues et qui sont dues à une tendance haussière des prix des matières premières sur le marché international. Il faut féliciter particulièrement l’IGF qui aurait mis les patrouilles financières dans ces institutions pour essayer de canaliser les recettes. Mais, il reste à faire que, bon on est partis d’un budget qui avoisinait 4 milliards à un budget qui peut arriver à 12 milliards. C’est une bonne chose mais n’oublions pas que nous avons un défi pour l’affectation de ces ressources. C’est pourquoi nous avons parlé ici de l’armée, et il faut que ces ressources soient affectées dans l’armée mais qu’on prenne aussi des mesures pour l’utilisation par l’armée soit sérieuse et intègre, et soit orientée vers l’opération. Mais aussi la situation sociale, – je sais que les efforts ont été faits pour les enseignants – il faut assainir, maitriser les effectifs. La même chose pour les fonctionnaires. On a parlé de l’augmentation de 30% des salaires ; c’est très intéressant. Le problème chez nous n’est pas que la canalisation des recettes, mais surtout leur affectation rationnelle et leur utilisation. Les répercussions sociales des performances économiques, c’est cela le cœur du problème et que nous envisagions la construction de grandes infrastructure susceptibles de booster le développement pour faire de la RDC un pays émergent dont on parle depuis des années. Nous avons besoin des capitaux pour jeter les bases des infrastructures. Et nous devons sortir de la situation d’un Etat végétatif pour un Etat capable d’attirer les ressources.

KDA : Que reste-t-il encore du procès 100 jours où tous les détenus sont en liberté provisoire ?

Jacques Djoli : Il y a deux façons de lire cette question. La première façon est celle qui consiste à dire qu’on a libéré les gens qui avaient réellement commis des actes de corruption et de détournement. Une autre lecture, c’est que la justice n’a pas fait correctement son travail parce que si on arrive à donner aussi facilement la liberté provisoire, et que la Cour de cassation a demandé à une autre Cour de reprendre le procès, c’est qu’il y a eu des déficiences dans l’instruction et dans l’administration de la justice. Mais l’essentiel c’est dans ce que vous dites : la corruption est un cancer qui ronge cette société. Et nous ne nous en sortirons pas si nous ne lançons pas des signaux clairs que nous allons combattre la corruption, le détournement des deniers publics, la légèreté dans la gestion des fonds de l’Etat. Malheureusement,  comme je vous avais dit, l’impunité est liée au favoritisme. D’ailleurs pour Transparency International, le népotisme est une forme de corruption. Donc, si nous parlons de la lutte contre le népotisme, le favoritisme, c’est que ce sont des antivaleurs au même titre que la corruption. Et il faut qu’on puisse instituer dans ce pays la corruption comme un crime contre la Nation. Le détournement est un crime contre la Nation. Nous avons aujourd’hui des militaires qui ne savent pas être motivés, être bien équipés parce qu’il n’y a pas des ressources ou les ressources sont détournées.

KDA : Comment appréciez-vous les injonctions données par la présidence de la république pour l’organisation du tirage au sort à l’issu duquel le professeur et président de la Cour, Dieudonné KALUBA a été défenestré ?

Jacques Djoli : Deux lectures là aussi. Le tirage au sort est un élément structurant de l’indépendance, de la neutralité de la Cour. Même dans la bible, lorsqu’il fallait remplacer l’Apôtre Juda, les Apôtres, sous la direction de Pierre, avaient procédé par tirage. C’est un mode de suffrage qui date depuis Athènes, la Grèce Antique et Rome. Maintenant, c’est depuis six ans que j’ai toujours demandé qu’on fasse le tirage au sort. En 2015, lorsque la Cour a été mise en place, trois ans après, il fallait qu’on tire au sort. On nous a dit qu’il y a un juge qui est mort et que les deux autres avaient démissionné deux minutes avant le tirage au sort. Ce qu’on apprendrait par qu’autres sources que c’était un arrangement. Et donc, ceux qui ont remplacé les Juges BANYAKU, KALONDA et ESAMBO, apparemment, il n’y a pas eu tirage. Première dérive. Lorsqu’on change les Juges KILOMBA et lBULU, il n’y a pas eu tirage au sort. Donc, le Juge KALUBA, le Juge KAMULETA et un autre sont venus sans qu’il ait tirage au sort. Maintenant, le troisième tirage était devenu un bégaiement, les juges ne voulaient plus tirer au sort. Je crois que c’est sur cette base que le Président aurait, en sa qualité – c’est ce que la présidence a dit – de Garant du bon fonctionnement des institutions y compris la justice, demandé qu’on tire au sort. Ce que moi je peux dire, c’est que si la Cour veut devenir une institution crédible, il faut revenir aux fondamentaux : le respect de la Constitution et des textes qui l’organisent. Si on s’amuse avec les textes, ils finissent toujours par nous rattraper. Lorsqu’on dit les Magistrats qui représentent le pouvoir judiciaire doivent être choisis par l’Assemblée plénière, il ne faut pas le faire par votre bureau, ce n’est pas la même chose. Et si on parle de tirage au sort, il faut le faire tel que prévu par le Règlement.

KDA : Peut-on espérer que la prochaine loi électorale qui ne tienne pas compte de vos propositions des réformes rende le processus électoral non-crédible ?

Jacques Djoli : La Constitution congolaise, dans son préambule, dit que l’une des causes fondamentales de notre crise étatique est l’absence de légitimité des institutions et de leurs animateurs. En 2006, il y a eu contestations des résultats, en 2011, j’ai vécu dans ma chair moi-même les contestations des résultats, en 2018, il y a eu contestations. Pour que nous puissions sortir de cette crise répétitive, il faut que nous prenions le courage de faire des reformes. Mais si notre agir politique est dominé par la volonté de conserver le pouvoir, notamment au niveau de nous députés qui croyons que si nous laissons telles qu’elles sont là, nous allons revenir, c’est une illusion. Le taux de reconduction de ceux qui reviennent est de 10%. Donc, les bonnes lois donnent des bonnes institutions et des bonnes institutions permettent le développement de la société. Les mauvaises lois donnent des mauvaises institutions.

KDA : La candidature annoncée de Joseph KABILA à la prochaine présidentielle est-elle juridiquement soutenable ?

Jacques Djoli : Moi je crois que les congolais, nous devons être sérieux. Aucun professeur de droit constitutionnel, aucun, ne peut se livre à ce genre de débat. Kabila a fait deux mandats. Un mandat de cinq ans renouvelable une seule fois, point. Cette disposition est verrouillée à l’article 220. Mais de quoi on discute ! Sérieusement ! On parle du statut de sénateur à vie, mais cela n’a aucun lien avec l’article 220. On peut devenir Sénateur à vie même après avoir fait un seul mandat, et en ce moment-là, on a droit à un deuxième mandat. Donc, la question du statut post présidentiel ne se pose pas. En France, il est dit « qu’on ne peut pas faire plus de deux mandats successifs », et là tu peux revenir après avoir fait passer un ou deux mandats. Mais chez nous, « cinq ans renouvelable une seule fois, point ». Et vous avez le droit de faire autre chose. Mais pourquoi nous congolais ne pouvons pas vendre notre ancien président Kabila comme un Ambassadeur de l’environnement. Est-ce que vous avez vu ce qu’il a fait à Kingakati ! C’est un homme qui peut servir dans des questions de sauvegarde des forêts, de climat et même des animaux… Pourquoi vous ne voulez pas le laisser tranquille ? Vraiment moi je suis étonné par cette fixation sur un père de famille qui n’aspire qu’à s’occuper de ses enfants.

KDA : Merci Professeur

La Rédaction.